Global Research, décembre 10, 2012
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Niterói, 7 décembre 2012,
Cher Domenico,
Tu as dû certainement apprendre le départ de ton ami Niemeyer. Hier précisément, alors que la nouvelle de sa mort parcourait le Brésil et le monde,
j’ai rappelé avec émotion et une pointe de fierté à mes étudiants,
stupéfaits et incrédules, ce jour où Oscar te reçut pour la première fois dans sa résidence-atelier de Copacabana, avec moi et l’architecte Alfonso Accorsi, Waldeck Carneiro (alors président de notre faculté) et Cecilia Goulart (coordinatrice des cours de master et de doctorat).
Parmi les nombreuses inoubliables impressions,
je restai particulièrement touché par l’accueil qu’il te fit, comme
s’il était un ami de longue date, et par l’intérêt juvénile qu’il
manifestait pour tes recherches, tes livres, pour ce que tu pensais de
la Chineet des Usa, de l’Italie et de l’Europe et surtout de la philosophie. Te souviens-tu comment il réagît quand tu lui dis que Schopenhauer avait quelque chose de réactionnaire ? Le jour suivant il vînt écouter tes cours dans notre Université Fédérale Fluminense de Niterói : luxe réservé à peu de gens ! Comme tu le sais la grandeur d’un génie se mesure aussi à son humilité. A son sens de ses limites, à sa « conception réaliste de la vie » -comme il aimait dire- « qui nous porte à avoir conscience
de la fragilité des choses et nous fait devenir plus simples et
humains, en nous empêchant de nous attacher de façon morbide à elles ».
Paradoxalement, c’est justement de cette conscience qu’est issue une oeuvre prodigieuse ; une oeuvre qui fera parler d’elle « même au 30ème siècle », comme a dit l’anthropologue brésilien Darcy Ribeiro. Sur l’immense et surprenante production de Niemeyer on peut dire tout ce qu’on veut mais le fait est qu’elle a bouleversé les canons de l’art et de l’architecture et qu’elle a inspiré une multitude d’artistes contemporains. A juste titre, Niemeyer est appelé le « poète des courbes », selon une définition qu’il a lui-même brillamment esquissée :“Ce qui m’attire c’est la courbe libre et sensuelle. La courbe que je rencontre dans le parcours sinueux de nos rivières, dans les nuages du ciel, dans le corps de la femme préférée. L’univers entier est fait de courbes. L’univers courbe d’Einstein ».
Mais au-delà de l’usage
merveilleux qu’il a fait des courbes, des formes légères et
transparentes, s’élevant vers le ciel comme si elles volaient, au-delà
de l’imagination, de la surprise et de l’inédit qui se trouvent dans ses centaines d’oeuvres
de par le monde, je crois qu’un des aspects les plus significatifs de
ses créations a été sa capacité de penser les monuments, les édifices et
les villes comme espace public. Comme oeuvres intégrées dans
l’environnement, ouvertes aux expressions culturelles et politiques du peuple : presque comme une invitation à chacun à faire s’exprimer son esprit créatif et convivial. Lieux dans lesquels, comme il disait lui-même, « l’homme ordinaire et sans pouvoir », toute la population,
pût se reconnaître et se sentir à son aise et pût avoir la sensation
d’appartenir à une création commune, à un monde libre et d’égaux. Sans
interdictions, sans hiérarchies, sans secrets, sans armes, dépassant
toute distance et sans se sentir écrasés par l’importance et l’arrogance
des constructions des « messieurs » et des centres de pouvoir. Pour
cela l’architecture de Niemeyer ne peut pas être séparée du grand homme
politique qu’il a été. Après la construction de Brasilia,
en effet, il n’avait de cesse de dire qu’ « il ne suffit pas de faire
une ville moderne : le plus important est de changer la société ».
Dans une interview faite par Brasil de fato
en septembre 2005, et sans pour autant aller rejoindre le choeur des
détracteurs, il n’a pas épargné ses critiques à Lula, en regrettant
combien celui-ci se limitait à « améliorer le capitalisme » et n’était
pas déterminé comme Chavez. « Si j’étais jeune » disait-il, « au lieu de
faire de l’architecture je descendrai dans la rue protester contre ce
monde de merde dans lequel nous vivons ». Pour ces raisons, je crois, un
peu comme toi, que la génialité de Niemeyer a tiré nombre de ses
inspirations de ses convictions politiques, du fait d’avoir été un
communiste authentique, d’une pièce, sans hésitations ni éraflures.
A ce propos je me souviens d’un épisode amusant et significatif, et je te le fais raconter par lui-même :
« Je
me souviens de la nuit où Fidel vint dans mon atelier. J’avais invité
des amis et, à minuit, quand il partît, l’ascenseur ne fonctionnait pas.
Pour prendre l’autre ascenseur il dût passer par l’appartement du
voisin, qui aujourd’hui encore raconte l’épisode avec une certaine
fierté. Je vous laisse imaginer la stupéfaction du couple quand ils
ouvrirent la porte et se virent face à face avec Fidel... Le seul
communiste qui habite dans l’immeuble c’est moi, mais quand Fidel
sortît, tout l’immeuble était illuminé et les gens applaudissaient ».
Hier, dans un geste symbolique,
on l’a amené en avion à Brasilia, comme pour lui faire faire un dernier
salut à sa créature la plus visible, aujourd’hui patrimoine universel de
l’Unesco. Et puis retour à Rio, sa terre natale, confié aux bras des
amis, de la bossa nova, de la samba, aux effusions des gens mêlés, des
artistes, des hommes politiques, des jeunes, des femmes qu’il a toujours
aimées.
Les grands media,
naturellement, ont fait de beaux discours sur sa génialité, sur la
résonance mondiale de ses oeuvres, sur son activité et sa longévité, sur
sa générosité et sa solidarité. Mais peu de gens ont parlé de ses
convictions politiques, de son communisme, de son programme de vie
résumé dans la phrase « tant qu’il y aura dans le monde de l’injustice
et de l’inégalité, moi je serai un communiste ».
Niemeyer l’a fait lucidement
jusqu’à 104 ans. Maintenant c’est à nous qu’il revient d’atteindre cet
objectif et d’aller au-delà. L’année prochaine, quand tu viendras au
Brésil, j’essaierai de te convaincre de faire une conférence à
l’Université du Mato Grosso, aux portes de l’Amazonie. De là nous
pourrions faire escale à Brasilia, la ville de ma femme et de Niemeyer.
Je te salue avec une belle vignette de Amarildo sur le journal O Globo d’aujourd’hui (7 décembre 2012) :
Giovanni Semeraro,
Professeur de philosophie à l’Universidad Federal Fluminense, Niterói, Rio de Janeiro (Brésil)
Publié sur le blog de D. Losurdo
Titre original : « Hommage à Niemeyer, architecte et communiste »
Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio
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