Mondialisation.ca, 11 mars 2014
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http://www.mondialisation.ca/la-crise-ukrainienne-revele-limpuissance-de-lue-et-son-alignement-absurde-sur-la-vision-americaine-de-leurope/5372944
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L’appréciation des
évènements d’Ukraine par les occidentaux et leurs médias montre à
l’évidence une inversion des valeurs du droit international qui atteint
une dimension proche de l’absurde. Et l’ensemble des moyens de
communication accompagne unilatéralement cette dangereuse perversion,
seuls quelques rares organes semblant prendre un peu de recul face à une
unique et paradoxale présentation de la vérité.
La terminologie «Occident»,
désigne les Etats-Unis d’Amérique, grande puissance souveraine, fière
et sûre de représenter les valeurs universelles de la liberté dont la
statue illumine le monde à l’entrée de New York, première force
militaire du moment, qui définit ses intérêts planétaires et les défend
avec âpreté, et ses alliés européens qu’elle a poussés à s’unir dans une
organisation technocratique afin que cette Europe de l’Ouest ne
constitue qu’un glacis apolitique protecteur, uniquement préoccupé
d’organiser le commerce libre et sans frontières ouvert aux capitaux
prédateurs de la finance internationale, initialement contre le monde
soviétique et désormais contre la Russie dont elle ne cesse de saper les
appuis pour l’empêcher de redevenir une grande puissance et qui est
déjà sa rivale. Cette Union Européenne qui n’en finit pas de mourir
d’impuissance politique, simultanément à des échecs économiques
dramatiques, est désormais rejetée par la majorité des habitants du
continent qui ont fini par voir en elle la source de leurs malheurs,
d’autant plus que la bureaucratie bruxelloise s’arroge aussi la mission
de réglementer le mode de vie journalier des individus ainsi que leurs
valeurs morales et spirituelles. Les nations qui la composent
transmettent chaque jour davantage leurs droits régaliens à une
technocratie bruxelloise qui, à peine consciente de sa vacuité, ne voit
d’issue à ses échecs patents que dans une intégration encore plus forte.
Il va sans dire que face à cette impuissance ressentie, les dirigeants
européens ne voient pas d’avenir à leur survie nationale et délèguent
leur défense au parrain d’outre-Atlantique en intégrant l’organisation
militaire de l’OTAN, liant ipso facto leurs destins au succès de la
grande Amérique.
Russophobie
L’Union Soviétique s’étant
effondrée au début des années 90, on aurait pu croire qu’une grande
Europe des nations allait pouvoir se construire sur des bases sérieuses
mais il fut rapidement clair que l’UE n’avait pas de politique cohérente
à cet égard et qu’après l’intermède Eltsine qui ouvrait la Russie aux
prédateurs occidentaux, Poutine affirmait la volonté de la Russie de se
reconstruire en une puissance politique et militaire, enracinant cette
action dans les traditions ancestrales de la Russie des tsars, luttant
contre les oligarques qui avaient commencé à s’emparer des richesses
nationales avec l’appui de l’étranger, et surtout encourageant les
valeurs patriotiques, religieuses, spirituelles et morales propres à
l’âme russe.
C’est dire que le modèle
construit par le nouveau tsar avec l’appui d’une forte majorité de la
population, représente l’opposé de celui prôné par l’Union Européenne et
les nations qui la composent, qui passent leur temps à vouloir ignorer
leur histoire ou à s’en accuser, à réfuter leurs racines religieuses,
culturelles et spirituelles et plaident en permanence pour l’abolition
des barrières morales au nom du libéralisme total, allant même jusqu’à
nier de façon aberrante les différences entre les sexes. Il est donc
indispensable pour les tenants de cette Europe démoniaque de dénigrer
systématiquement tout ce qui est russe, d’autant plus qu’ils participent
ainsi au combat que mène leur parrain américain pour affaiblir la
Russie.
Sans aucune logique
stratégique, l’UE s’est élargie depuis l’effondrement de l’URSS aux pays
de l’Europe de l’est, cet élargissement allant de pair avec leur
intégration dans l’OTAN qui, d’une défense contre l’Union Soviétique qui
n’existe plus est devenue une alliance contre la Russie, même si les
Etats-Unis prétendent le contraire, allant même jusqu’à proposer à
Moscou un partenariat en son sein. Mais la défense antimissile
balistique (DAMB) est, malgré les arguties de langage, un système sous
l’égide des Etats-Unis dirigé contre la Russie et non contre l’Iran.
Déni du droit international.
Pour ne pas alourdir ce
propos, je ne retracerai pas l’histoire de l’Ukraine dont les frontières
ont évolué au cours des siècles, passant tour à tour sous domination
baltique, autrichienne, polonaise, ottomane et russe. Mais l’influence
russe est incontestablement la plus ancienne, la plus pérenne et aussi
la plus récente. On sait que Kiev fut le berceau et la capitale de la
Russie. On sait aussi qu’après avoir été le fleuron et la côte d’azur de
l’empire russe, elle n’est indépendante que depuis 1991, avec
l’éclatement de l’éphémère CEI, Communauté des Etats Indépendants.
Dès cette indépendance,
l’UE et les EUA parlent de l’intégrer un jour dans l’UE simultanément à
l’OTAN, c’est-à-dire de l’enlever à la sphère d’influence de son voisin
russe. La « révolution orange » de 2004 visait déjà à renverser son
gouvernement prorusse pour installer des dirigeants tournés vers l’UE.
On sait maintenant de façon précise le nombre de milliards de dollars
que les organismes américains ont dépensés en Ukraine pour organiser les
mouvements d’opposition. Après les échecs de cette politique, malgré
tous leurs efforts, la volonté d’y parvenir n’a fait qu’attendre le
moment propice pour y parvenir. Il s’est présenté avec la politique d’un
président corrompu s’appuyant sur des oligarques liés aux intérêts
occidentaux qui s’était proposé fin 2013 de signer avec l’UE un accord
d’association, en rejetant la proposition russe d’une union douanière au
sein d’un ensemble eurasiatique. Mais l’UE se montrait alors incapable
de faire face à ce souhait, n’ayant pas les moyens financiers pour y
répondre. Face à une situation financière désastreuse, Yanoukovic
renonçait alors en novembre 2013 à l’UE et acceptait les propositions
avantageuses de la Russie.
Déçus par ce revirement,
les Ukrainiens attirés par l’UE, principalement dans la partie
occidentale du pays, dont ils pensaient adopter du jour au lendemain
l’opulence économique, ont manifesté leur mécontentement sur la place
Maïdan à Kiev, aussitôt soutenus dans leur révolte pacifique par des
groupes préparés de longue date au combat de rues. Sous les pressions
de l’UE, Yanoukovic avait désarmé ses policiers pour éviter les morts
mais on sait maintenant, notamment par l’enregistrement d’une
conversation entre Lady Ashton et le Ministre des AE d’Estonie, que ce
sont des tireurs de ces groupes qui ont tué des membres des forces de
l’ordre et des manifestants pour enclencher le mécanisme insurrectionnel
violent.
L’UE n’a pas même pu jouer
un rôle de médiateur. Aussi Victoria Nuland, la Sous-secrétaire d’Etat
américaine, consciente de cette impotence ordonna-t-elle à son
ambassadeur à Kiev de mettre le paquet pour soutenir les opposants et,
devant les réticences au téléphone de son interlocuteur vis-à-vis des
européens occupés à négocier, de dire vertement « que l’UE aille se
faire foutre » (Fuck with EU). Ce sont cependant trois ministres des AE
européens, le français, le polonais et l’allemand qui parvinrent le 21
février dernier à conclure un accord entre le gouvernement et
l’opposition qui entérinait des concessions importantes du Président et
prévoyait des élections en mai prochain, proposant ainsi une sortie de
crise. Tout le monde se félicitait de cet accord qui avait l’appui de
tous les intéressés et de la communauté internationale. Sauf des
Etats-Unis qui, à en croire l’enregistrement de la conversation de
Victoria Nuland voulaient aller à l’épreuve de force.
Alors le lendemain, ceux
mêmes qui avaient signé le document donnaient l’ordre à leurs milices,
dont certaines sont connues pour leurs passés fasciste ou nazi, de
s’emparer des bâtiments administratifs. Lâché par ses forces de l’ordre
qu’il avait trahies, de même que par les oligarques du Parti des
Régions, le Président devait fuir pour sauver sa vie. Les révoltés
s’emparaient alors des postes du pouvoir et affichaient leur haine de la
Russie, interdisant le lendemain de leur putsch la langue russe dans
toute l’Ukraine, langue pourtant parlée par plus de la moitié des
Ukrainiens.
Bien qu’incapables de faire
face à la crise financière de l’Ukraine en cessation de paiement, l’UE
et les Etats-Unis s’empressaient, contrevenant aux règles élémentaires
du droit international et surtout aux termes de l’accord qu’ils avaient
signé ou aider à réaliser le 21 février, de reconnaître les putschistes
comme les nouveaux dirigeants légitimes de l’Ukraine.
Dans ces conditions, Poutine a beau jeu de dire que, même s’il ne lui
porte pas grande estime, Yanoukovic est le président légitime et que
les fascistes de Kiev font courir un risque énorme aux Russes de la
partie est du pays et notamment de la Crimée où il s’est empressé de
prendre facilement les mesures de sauvegarde que lui demandaient les
habitants, les protégeant et protégeant la base navale de Sébastopol.
Il est clair qu’il ne
reviendra pas en arrière et qu’il menace d’aller plus loin en Ukraine de
l’est où l’attendent ses partisans.
L’UE n’a pas les moyens de
répondre militairement, ni économiquement, d’autant plus qu’on devine
déjà des approches différentes des Britanniques et des Allemands dont
les liens économiques avec la Russie et l’Ukraine sont importants.
Donner 35 milliards d’euros par an à l’Ukraine pendant une durée
indéterminée n’est pas à la mesure d’une UE exsangue et l’Allemagne ne
s’engagerait jamais dans un tel processus. Quant aux Etats-Unis qui se
replient militairement des endroits où ils se sont inconsidérément
enlisés, ils n’ont pas l’intention d’envoyer leurs soldats pour affirmer
une politique qu’ils savent d’avance vouée à l’échec.
Il reste donc aux Etats-Unis et à l’UE à prendre un peu de recul, à
comprendre les intérêts stratégiques de la Russie et à les accepter.
Cette crise aura montré à
nouveau tragiquement comment le droit international est défini par le
plus fort jusqu’à l’absurde, comme notre Jean de La Fontaine l’a si bien
illustré dans sa fable du loup et l’agneau. Les putschistes reçus dans
les palais nationaux européens parce qu’ils sont contre la Russie et
pour l’UE- il faudrait d’ailleurs voir ce qu’il adviendrait si par
malheur les fascistes ou les incapables devaient continuer leur
aventure au pouvoir- sont une illustration des aberrations de la
diplomatie quand les équilibres sont rompus et que seule la loi du plus
fort préside au destin du monde. Je laisse le soin aux observateurs
attentifs de relever des analogies avec d’autres « révolutions » en
Libye, en Syrie… et ailleurs.
L’Europe de l’Atlantique à l’Oural.
Oubli de l’Histoire ou
inculture des dirigeants européens, tout devrait pourtant les pousser à
construire avec la Russie « l’Europe de l’Atlantique à l’Oural »
préconisée par de Gaulle dans une formule par laquelle il ne limitait
évidemment pas territorialement la Russie à sa dimension européenne.
Mais organiser le continent européen en une force politique et, par
conséquent économique et stratégique, implique de construire entre les
nations européennes enracinées dans leurs histoires particulières, des
coopérations et des accords qui, au lieu de détruire leurs racines
spécifiques pour constituer un magma informe et impuissant, les mettent
en commun pour réaliser enfin une puissance qui ne pourra exister que si
chacune garde ses richesses propres et les ajoute à celles des autres.
La France, l’Allemagne, l’Italie, l’ancien Benelux qui ont commencé
cette construction, et toutes les autres qui s’y sont agrégées ensuite
ont leurs originalités essentielles, à commencer par leurs langues
porteuses de leurs cultures, qui enrichiront le patrimoine commun quand
elles auront défini ensemble leurs buts et intérêts partagés qui sont, à
l’évidence nombreux.
« Il n’est de richesse que
d’hommes » écrivait au XVIème siècle le juriste Jean Bodin. C’est à
partir de cette conception que de Gaulle jugeait le monde et annonçait
que « la Russie boirait le communisme comme le buvard boit l’encre »,
car il savait que l’homme s’organise en familles, en clans et en nations
enracinées dans la terre et dans l’Histoire. L’établissement de
relations diplomatiques avec la Chine en 1964, à la surprise générale et
au scandale des Etats-Unis qui ne comprirent que plus tard la
pertinence de cette décision, résultait de sa culture générale qui lui
faisait reconnaître ce « grand peuple, le plus nombreux de la terre » et
« cet Etat plus ancien que l’Histoire », quel que soit le régime qui le
dirigeait.
L’Ukraine est un pays
européen lié par l’Histoire à la Russie. Ceux qui ne veulent pas
reconnaître cette vérité n’aident pas à construire une Europe européenne
mais poursuivent une guerre froide contre Moscou qui pourrait se
réchauffer dangereusement. Continuer à se réfugier derrière le parrain
américain au sein même de l’Europe est un danger face auquel des états
de l’UE pourraient finir par trouver que ce n’est plus leur intérêt.
Tout pousse l’Allemagne à s’entendre avec la Russie car les deux
économies sont très imbriquées, notamment, mais pas seulement, dans le
domaine énergétique, et Berlin pourrait prochainement privilégier ses
intérêts à la solidarité européenne. La France, qui a un passé riche
d’amitié avec la Russie devrait y réfléchir aussi.
Le problème de l’Union Européenne est que même quand elle est à
l’évidence inutile ou inefficace, elle continue d’exister car personne
n’ose dénoncer le tabou de cette idéologie utopique, productrice
seulement d’un libéralisme destructeur des économies nationales. Mais
reconnaître un pouvoir insurrectionnel comme légitime et porteur
d’espoir pour l’Ukraine, surtout quand on sait son origine extrémiste,
est une preuve de plus de son inconsistance et, finalement, de sa
nuisance intrinsèque au destin des Européens. Et qu’elle n’est
finalement que le jouet des Etats-Unis qui, après avoir empêché avec
succès l’émergence d’une Europe politique forte sur le continent qui
n’aurait pu être logiquement qu’une rivale, ou à la rigueur une
partenaire indépendante, poursuivent leur objectif d’affaiblir la Russie
dont ils redoutent la montée en puissance.
Alain Corvez
Conseiller en stratégie internationale
8 mars 2014
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