C’est un des buts inavoués de l’intervention russe en Syrie. Au-delà de la lutte contre l’organisation État islamique et plus que la survie de Bachar el-Assad, Vladimir Poutine profite de l’intervention en Syrie
pour atteindre un rêve longtemps caressé par les Tsars russes :
s’installer durablement en mer Méditerranée. “C’est le plus grand axe
maritime du monde dont la Russie est absente, le contrôler est un enjeu
de puissance indispensable”, souligne le géographe Fabrice Balanche,
chercheur invité au Washington Institute.
Bordée au nord par
l’océan glacial Arctique, et ne possédant que des mers fermées, la
Russie disposait toutefois d’un accès aux “mers chaudes” du temps de
l’empire soviétique, via ses alliés en Égypte, en Irak et en Syrie. Or,
cette porte d’entrée vers le Sud s’est brutalement close lors de
l’effondrement de l’URSS, en 1991. Seule exception, le port syrien de
Tartous, où la Russie est présente depuis 1971,notamment pour livrer des armes au régime syrien.
“Il ne s’agit pas d’une base navale avec des navires déployés de
manière permanente mais davantage d’un point d’appui logistique, où les
bâtiments peuvent accoster pour être ravitaillés”, explique Isabelle
Facon, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique.
Opportunité
Un
simple quai pour la Russie, avec une demi-douzaine de marins, servant à
réceptionner les livraisons d’armes ou réparer des navires de passage
en provenance de Sébastopol, en Crimée, base jusqu’ici la plus
méridionale de l’armée russe. “Malgré les tonnes d’armement livré par
les Russes, la Syrie de Hafez el-Assad a continué à mener sa propre
partition dans la région”, nuance toutefois Julien Nocetti, chercheur au
Centre Russie-NEI de l’Institut français des relations internationales.
“De la même manière, depuis le début de la guerre civile syrienne, les
Russes étaient frustrés quant à leur influence limitée sur Bachar
el-Assad. Ils cherchaient à avoir une emprise plus forte sur lui.”
Cette
opportunité leur a été offerte sur un plateau cet été. Multipliant les
revers face à la rébellion syrienne, dominée par Al-Qaïda et menaçant
dangereusement son fief, Bachar el-Assad a lancé un rare appel à l’aide en direction de son allié,
en avouant manquer cruellement de soldats dans ses rangs. “S’ils
perdent le président syrien, les Russes perdraient dans la foulée leurs
intérêts sur la côte syrienne, explique le spécialiste Julien Nocetti.
Mais Moscou s’est également engouffrée dans la brèche pour revenir au
centre du jeu diplomatique et imposer ses choix militaires en Syrie.”
S’affirmer comme une puissance mondiale
Début septembre, le quotidien russe Kommersant révèle
que la Russie travaille à l’élargissement de la base navale de Tartous.
1 700 spécialistes sont dépêchés dans le port situé à 90 kilomètres au
sud de Lattaquié. Une source militaire russe affirme au quotidien que la
manoeuvre vise à permettre l’accueil de plus grands navires, mais n’est
pas liée, assure-t-elle, à une intervention imminente en Syrie. Mais le
responsable bluffe. Au même moment, trois navires russes transportant
des véhicules blindés traversent le détroit du Bosphore, étape
obligatoire pour accéder à la Syrie. Et marquer le véritable retour de
la Russie sur le littoral méditerranéen.
Pendant ce temps, à 90 kilomètres au nord de Tartous, à l’aéroport de Lattaquié, plusieurs centaines de conseillers militaires et de techniciens russes oeuvrent à la construction d’une base aérienne avancée.
“Dans les faits, ils contrôlent aujourd’hui la totalité de l’aéroport
militaire de Lattaquié”, assure le géographe Fabrice Balanche,
spécialiste de la Syrie. À Jablé, à 30 kilomètres au sud de Lattaquié,
Moscou œuvre à la remise en service d’une base sous-marine datant de
l’époque soviétique. Depuis, ce sont 50 avions et hélicoptères, des
dizaines de blindés, des troupes d’infanterie de marine, des
parachutistes et des unités de forces spéciales qui ont débarqué en
Syrie. Soit au moins 2 000 hommes, selon des estimations américaines.
“Avec les bases de Tartous et de Lattaquié, la Russie possède une
véritable composante aéronavale lui accordant un poids militaire
supérieur sur le terrain, mais lui permettant aussi de s’afficher comme
une puissance mondiale”, souligne Julien Nocetti.
Pacte avec Bachar el-Assad
Si, à la tribune de l’ONU, Vladimir Poutine jure qu’il intervient pour vaincre les terroristes,
EI et opposants à Bachar el-Assad confondus, un tel déploiement de
force répond également au désir russe de s’implanter sur le long terme.
“Le pacte était très clair avec Bachar el-Assad, explique Fabrice
Balanche : la Russie envoie des troupes en Syrie, mais s’y installe
durablement. Assad était obligé d’accepter, sous peine de perdre le
contrôle du pays. Ainsi, poursuit le géographe, la Russie a pu
redéployer sa puissance à l’étranger, en commençant modestement en
Méditerranée”.
“La base de Tartous est une clé importante pour
Moscou afin de projeter sa puissance militaire au-delà de son
environnement régional et de s’afficher comme une puissance globale”,
renchérit la spécialiste Isabelle Facon. Avec leur première véritable
base en Méditerranée, les Russes peuvent désormais atteindre l’océan
Indien, grâce au canal de Suez, le Maghreb et l’Europe du Nord, via le
détroit de Gibraltar. Mais la présence militaire russe sur le littoral
syrien permet également à Moscou de peser davantage sur l’échiquier
moyen-oriental. “En s’emparant du littoral syrien, la Russie contrôle
une partie des approvisionnements en armes du Hezbollah, le bras de
l’Iran dans la région, qui transitent via Lattaquié”, explique le
géographe Fabrice Balanche.
Surtout, Vladimir Poutine
réussit à infliger un sérieux revers à l’un des plus farouches ennemis
de Bachar el-Assad, Recep Tayyip Erdogan. “La Turquie, qui rêvait de
devenir un carrefour énergétique, se retrouve encerclée par la Russie et
ses alliés, tant via la Géorgie que par le littoral méditerranéen, ce
qui rend Ankara complètement dépendante de Moscou”, précise Fabrice
Balanche. Un duel Poutine-Erdogan qui s’est récemment matérialisé par deux incidents impliquant des chasseurs turcs et russes qui avaient violé l’espace aérien de la Turquie. Sans feu, pour l’heure. PAR ARMIN AREFI
Le Point.fr
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B)La Russie part en campagne pour écraser les Forces d’Al-Qaïda de la CIA
Avec
quelques 125 frappes en trois jours, la campagne de bombardements russe
poursuit sa progression. Les médias américains sont maintenant obsédés
par l’idée que la Russie utilise peut-être des bombes « muettes » au
lieu des « bombes barils » syriennes. C’est leur nouveau thème de
propagande. Mais les vidéos de la base aérienne russe montrent qu’au moins une partie des avions sont armés de bombes KAB-500S-E guidées par satellite (GLONAST) qui sont des bombes « intelligentes » très précises. (D’autres photos et vidéos de
la base aérienne russe montrent que la base est très confortable avec
ses quartiers climatisées, sa tente mess, ses Gulaschkanonen (cuisines
roulantes, ndt), sa boulangerie, sa blanchisserie etc. Cette base n’est
pas une installation temporaire improvisée.)
De plus, en quoi
est-il plus humain de tuer les gens avec une bombe précise qu’avec une
« bombe stupide » ou une « bombe baril » ? Gaza a été bombardée par les
Israéliens avec des bombes intelligentes (made in USA). Cela n’a pas
conduit à moins de destructions ou de tueries. La bombe saoudienne (made
in USA) qui vient d’être larguée sur un mariage au Yémen en assassinant
130 personnes, était aussi une bombe « intelligente » et elle est
tombée exactement là où on voulait qu’elle tombe.
La plupart du temps, les Russes ont bombardé, comme je l’ai décrit plus
tôt, le couloir qui mène à la frontière turque et qui est aux mains
d’al-Qaïda, d’Ahrar Al Shams et des mercenaires de la CIA. Ils ont
également bombardéRaqqa, la capitale syrienne de l’État islamique, et tué une douzaine de combattants. En réponse, l’État islamique a annulé la prière du vendredi à Raqqa, craignant apparemment que toute l’assemblée des combattants ne soit bombardée.
Amusant.
Les États-Unis ont affirmé pendant toute l’année dernière qu’ils
bombardaient sérieusement l’État islamique. Mais les prières du vendredi
n’avaient jamais été annulées auparavant. Peut-on en conclure que
l’État islamique ne croyait pas ce que disaient les États-Unis, mais
craint maintenant que les Russes ne fassent réellement ce qu’ils
disent ?
L’armée de l’air syrienne s’était abstenue de larguer des
bombes près de la frontière turque, craignant, à juste titre, que la
Turquie n’abatte un avion syrien. Mais la Russie peut maintenant le faire.
Le bombardement au sol est maintenant réalisé par des avions d’attaque
au sol construits pour ça, les Su-24, Su-25 et Su-34 et qui sont couverts par des avions de chasse Su-30M armés de missiles R-27 air-air de
moyenne à longue portée, extrêmement véloces qui volent au-dessus
d’eux. Ils abattraient tout avion turc qui tenterait d’attaquer les
bombardiers russes. C’est juste pour être sûr qu’il ne vienne pas une
idée idiote à M. Erdogan.
La campagne aérienne est également bien coordonnée avec les forces gouvernementales syriennes sur le terrain. Voilà un extrait d’un article payant du Wall Street Journal :
[D]es
milliers de rebelles se sont regroupés dans plusieurs enclaves au nord
de Homs, dans des villes comme al-Rastan et Talbiseh. Des avions de
guerre russes ont frappé des cibles civiles et militaires dans ces deux
villes et dans cinq villages environnants, a déclaré Rashid al-Hourani,
un officier de l’armée syrienne de la région qui a fait défection aux
rebelles en 2012.
Il a déclaré que les frappes aériennes avaient
été suivies d’un barrage de tirs d’artillerie à partir de plusieurs
positions proches où des milices chiites et alaouites pro-régime ainsi
qu’un groupe soutenu par l’Iran connu sous le nom de Brigade Ridha,
s’étaient massées au cours des derniers jours.
L’armée syrienne va
bientôt attaquer en coordination avec l’armée de l’air russe et va
essayer de reprendre le nord du territoire, le long de l’autoroute M4 et
M5. Cela permettrait de lancer une attaque plus large jusqu’à la
frontière turque. Des renforts de troupes au sol en provenance d’Iran,
d’Irak et du Hezbollah sont en chemin ou déjà arrivés. Nous assistons à
la préparation d’une bataille plus importante.
Le Guardian lance la rumeur que les Etats du Golfe vont contrecarrer le mouvement russe en fournissant davantage d’armes :
Le
mouvement de la Russie risque clairement d’être contrecarré par les
pays qui soutiennent les rebelles. Selon un analyste indépendant, cette
tentative aurait peut-être déjà commencé, avec les Qataris qui envoient —
avec l’accord de l’Arabie saoudite — des avions remplis d’armes à des
bases aériennes turques. « Je m’attends à un énorme afflux d’armes dans
le nord pour tenter d’enrayer toute attaque terrestre du régime », a
déclaré l’analyste.
« Les enjeux sont très élevés. »
Et
les avions russes volent très haut. La plupart volent habituellement
au-dessus de 5000 mètres et aucun missile de défense aérienne portatif
(MANPAD) ne peut les atteindre. Les gens qui sont bombardés ne voient,
ni n’entendent même pas les avions qui arrivent. Cela va changer avec
les attaques de l’armée syrienne, et un soutien au sol plus direct sera
nécessaire, mais les avions qui seront alors utilisés sont des Su-25 et
Su-34 construits à cet effet et qui ont des cockpits blindés.
La
base aérienne russe est protégée par une défense aérienne moderne
installée au sol et sur les navires russes qui se trouvent dans la mer
toute proche. Elle est protégée sur le terrain par environ 1250 marines
russes. Elle contiendrait des munitions et autres fournitures pour au
moins trois mois. Personne ne risque de prendre cette base et la
campagne de la Russie à la légère. Pour s’y attaquer, il faudrait des
forces très importantes et cela entraînerait presque inévitablement une
guerre plus large avec la Russie qui est une superpuissance nucléaire.
La Syrie est la sœur de la Russie (vidéo) et elle sera défendue.
L’administration Obama a donc décidé qu’elle n’interférerait pas avec les attaques russes contre les mercenaires de la CIA et leurs frères d’armes d’al-Qaïda. On trouve bien quelques déclarations inquiètes et provocatrices mais c’est juste des rodomontades.
Mais les candidates pour les prochaines élections présidentielles ne sont pas aussi avisées. Toutes les deux, Hillary Clinton et Carly Fiorina,
ont appelé à la création pas les Etats-Unis d’une zone d’exclusion
aérienne au-dessus de la Syrie du Nord ce qui engendrerait évidemment
une guerre avec la Russie et de ses alliés. Ces deux femmes veulent
attaquer les forces russes pour défendre Al-Qaïda !
Note : Le pays qui doit décider qui vole ou non sur la Syrie est la Russie. Chers électeurs américains, s’il vous plaît ne laissez plus jamais ces maniaques s’approcher du pouvoir.
Les mercenaires de la CIA en Syrie – 10 000 hommes entraînés, armés et payés grâce à un programme secret -
coopèrent directement avec al-Qaïda et les terroristes du genre d’Ahrar
Al Shams. Le NYT le reconnaît enfin dans ces deux articles aujourd’hui.
Le premier dit :
Les
combattants avançant sur ce front [nord] ne venaient pas de l’Etat
islamique, mais de l’armée de conquête, un groupe qui comprend une
filiale d’Al-Qaïda connue sous le nom de Front Nusra et d’autres groupes
islamistes,ainsi que plusieurs groupes plus laïques qui ont été secrètement armés et entraînés par les États-Unis.
Le second article est consacré à l’armée de conquête :
L’alliance
se compose d’un certain nombre de factions souvent islamistes, dont le
Front Nusra, la filiale syrienne d’Al-Qaïda ; Ahrar al-Sham, un autre
grand groupe ; et les factions rebelles plus modérées qui ont reçu en secret des armes des services de renseignement des États-Unis et de leurs alliés.
Les
groupes qui se battent ensemble dans l’armée de conquête partagent
évidemment leurs armes, leurs munitions et d’autres fournitures. Ils ont
aussi très probablement des idéologies similaires. La CIA, sous Obama,
le général Petraeus et Brennan, arment sciemment Al-Qaïda en Syrie et
depuis un bon moment. Le NYT avait souligné, l’année dernière, que les
mercenaires de la CIA travaillaient avec les islamistes, mais cet article était
lénifiant et présentait cette collaboration comme quelque chose de peu
d’importance. Il est également tout à fait étonnant que, dans entre
l’article de 2014 et le deux article d’aujourd’hui, aucun article du NYT
sur la Syrie n’ait mentionné cette collaboration. Le NYT s’est au
contraire concentré sur la clownerie du Pentagone des « cinq rebelles
modérés » qui était une simple diversion.
Le Pentagone fait semblant de ne rien savoir des personnes touchées par les bombardements russes sur les positions d’Al-Qaïda :
Q :
McCain dit qu’ils ont frappé les rebelles soutenus par la CIA. Vous,
les gars, vous avez sans doute les mêmes infos. Savez-vous si c’est vrai
ou pas ? Où tout cela en est-il ?
COL. WARREN : Eh bien – encore
une fois, Tom, je dirais que nous ne pensons pas qu’ils appartenaient à
ISIL. Vous savez, qui soutient qui, vous savez, c’est… — Je ne vais pas
entrer là-dedans. Non, je ne vais pas parler de ça, surtout qu’il s’agit
de… — vous savez, ce n’est même pas d’une agence du Département de la
Défense dont il s’agit là..
Je prends cela comme une confirmation.
Les Israéliens reconnaissent maintenant aussi qu’ils travaillent avec al-Qaïda :
Nusra
et quelques milices locales sont en charge de la plus grande partie de
la frontière de 100 km avec Israël du côté syrien du plateau du Golan.
Au cours des dernières années, Nusra a légèrement édulcoré son idéologie
militante sous l’influence du Qatar et de l’Arabie saoudite qui lui
apportent un appui financier.
…
Al-Nosra
est en contrôle de la plus grande partie de la frontière, mais a
respecté jusqu’à présent l’accord tacite de ne pas retourner ses armes
contre l’Etat juif.
Nusra contrôle la frontière parce qu’Israël
l’a aidé en tirant sur l’armée syrienne chaque fois que al-Nosra en
avait besoin. L’article du Jerusalem Post, que je viens de citer, est
également intéressant par rapport au fameux plan d’Odet Yinon car
il confirme que le renseignement militaire israélien préside à la
fragmentation des nations du Moyen-Orient en petites entités dirigées
par des seigneurs de guerre :
Il y a quelques années, la
communauté du renseignement a commencé à réévaluer la réalité chaotique
qui émergeait au Moyen-Orient. Sur des plans élaborés par le Département
de la recherche du MI, on peut voir que les états sont remplacés par
des organisations…
C’est aussi ce qui est prévu pour la Syrie.
Mais avec la coalition qui se forme maintenant pour reprendre les
territoires syriens, ce plan pourrait bien échouer.
Article original en anglais : Russia’s Campaign To Snuff Off The CIA’s Al-Qaeda Forces, 2 octobre 2015 Traduction : Dominique Muselet
Publié par le Comité Valmy, le 3 octobre 2015
Ces
jours d’automne sont les plus importants du calendrier au Moyen-Orient.
Les musulmans célèbrent l’Aïd al-Adha, la Fête du sacrifice ; les juifs
jeûnent à Yom Kippour, le Jour du Grand pardon ; et les chrétiens
orthodoxes d’Orient se réjouissent de la nativité de Notre-Dame Marie.
Il semble, de façon surprenante, que l’endroit à la mode en ce moment
soit Moscou, où Poutine a reçu successivement, à un rythme soutenu, le
Premier ministre Bibi Netanyahou, le président palestinien Mahmoud Abbas
et le dirigeant turc Recep Erdogan.
Ils ne sont pas venus pour le
bel été indien qui a béni Moscou cette semaine, ni pour les feuilles
jaunes et rouges couvrant les érables et les bouleaux, bien que ce
somptueux nouveau Xanadu [une vallée perdue décrite par le poète Coleridge comme un paradis sur terre, NdT] soit
plutôt agréable à cette période de l’année ; ses rues remodelées à
grands frais, ses parcs entretenus par les meilleurs jardiniers, ses
pistes cyclables et ses trottoirs repavés, et même ses redoutables
embouteillages légèrement atténués.
Abbas et Erdogan sont venus
ostensiblement pour inaugurer, avec Poutine, la nouvelle grande
mosquée-cathédrale de Moscou, une vaste et opulente structure où dix
mille fidèles peuvent prier à la fois. Cette ville a plus de musulmans
que beaucoup d’autres; à peu près deux millions sur ses
quatorze millions d’habitants sont nominalement musulmans.
Ils ont
inauguré la mosquée, c’est entendu, et ont profité de l’occasion pour
une bonne conversation prolongée avec Poutine. C’est ce qu’a fait
Benjamin Netanyahou, le Premier ministre israélien, qui a fait l’impasse
sur la mosquée. Et il est venu avec ses hauts gradés : le chef
d’état-major et le chef du renseignement militaire, après une longue
absence.
Ce soudain intérêt pour Moscou est un signe que l’entrée
des Russes dans l’arène syrienne s’est jouée à guichets fermés. Lorsque
j’ai écrit il y a environ trois semaines au sujet de cette décision du
Kremlin, mon article a été accueilli avec de sérieux doutes, c’est le
moins qu’on puisse dire. Se pourrait-il que la Russie, après avoir goûté
à l’Ukraine, veuille s’aventurer loin de chez elle? Ils étaient
supposés bouder au Kremlin ployant sous le lourd fardeau des sanctions,
pas rôder ailleurs. Aujourd’hui, les faits sur le terrain ont justifié
mon précédent article. On voit des soldats et des marins russes, des
armes russes, des avions à réaction et des navires sur la côte ; ils
construisent une nouvelle base et combattent l’ennemi, donnant un
nouveau souffle de vie à l’État syrien assiégé.
Les rumeurs de
disparition russe et d’effondrement syrien ont été quelque peu
prématurées. L’incitation de Poutine à la paix en Ukraine (de ce
fait condamnée par les têtes brûlées) lui a permis de stabiliser le
Donbass. Un demi-million de réfugiés se sont déversés dans cette région
fertile et développée, la Ruhr russe. Une fois le calme au Donbass
rétabli, Poutine avait les mains libres pour agir ailleurs, et il l’a
fait.
La Russie résiliente est revenue au Moyen-Orient, et ça,
c’est un fait inattendu. Inattendu, puisque, il y a quelques années, il
semblait que les Russes avaient perdu tout intérêt pour le Moyen-Orient.
Ils étaient occupés ailleurs : ils essayaient de faire ami-ami avec
l’Europe, de mettre en scène les Jeux olympiques puis de se maintenir
autant que possible à l’écart des problèmes en Ukraine. Ensuite, les
troupes et les chars états-uniens ont paradé à la frontière russe dans
les États baltes, à quelques heures de route de Saint-Pétersbourg. Ce
n’est qu’au dernier moment, lorsque l’effondrement syrien a semblé être
une question de semaines sinon de jours, que les Russes se sont
réveillés et sont accourus pour sauver leur allié Bachar al-Assad.
Ce
mouvement a changé les règles du jeu. Les États-Unis se sont de nouveau
intéressés à la Russie, et le président Obama a demandé à rencontrer le
président Poutine pendant sa visite à New York le 28 septembre 2015,
lors de la 70e assemblée générale des Nations unies. Quelques jours
auparavant, une telle rencontre était totalement inconcevable.
Les
projets des États-Unis pour disposer de la Syrie comme ils le
souhaitent ont été mis en déroute par l’implication russe. De même pour
les projets du Qatar et des Saoudiens. Une nouvelle réalité est née, ni
trop tôt, ni trop tard.
La Turquie
La rencontre entre
Poutine et Recep Erdogan, le président turc, est intervenue à un moment
crucial. La Turquie est une victime évidente de la crise syrienne, bien
qu’elle contribue à sa gravité. Erdogan croyait les Américains et les
Européens, qui lui avaient dit que Bachar al-Assad tomberait en quelques
semaines. Il a accepté et invité des réfugiés syriens dans son pays, a
créé d’immenses camps pour eux. Maintenant, la Turquie abrite deux
millions de réfugiés syriens et irakiens et a dépensé huit milliards de
dollars pour les prendre en charge. Ce fardeau est une raison
essentielle de la récente défaite électorale de Erdogan et de son
parti : l’opération réfugiés est tout simplement trop chère et ruineuse
pour la société turque qui n’est pas très robuste.
La proposition
états-unienne à la Turquie de rejoindre la coalition dirigée par les
États-Unis a été acceptée avec hésitation, mais il est rapidement devenu
clair que cette voie ne menait nulle part. Les projets turcs de mettre
en place une zone d’exclusion aérienne à proximité de la frontière entre
la Syrie et la Turquie ont provoqué l’implication russe, car après sa
mise en place Bachar al-Assad et l’État syrien auraient été cuits. Après
la décision russe, les Turcs ont perdu tout moyen de s’en sortir.
Ils
ont réagi en lâchant la vague de réfugiés sur l’Europe. Les Européens
étaient plutôt contrariés, mais ils faut qu’ils regrettent ce qu’ils ont
fait. Ils ont poussé à l’élimination de Bachar al-Assad, ils ont
soutenu les groupes anti-Assad, et ils n’ont pas voulu payer pour le
séjour des réfugiés en Turquie. Les Turcs ne pouvaient pas garder deux
millions de réfugiés refoulés dans leur pays sans un soutien important
de l’Europe, et ce soutien ne venait pas. Donc les Turcs ont permis aux
Européens de ressentir le flot de réfugiés dans leur propre chair.
Nous pouvons probablement ajouter que les États-Unis ne se sont pas opposés au fait que les Turcs lâchent la vapeur. Les
élites dirigeantes états-uniennes ont toujours pensé que les pays
européens sont trop homogènes et qu’un peu de dilution par des
immigrants les feraient ressembler davantage aux États-Unis dans leur
composition.
Pendant ce temps, à Moscou, le président Erdogan a appelé le président Poutine son cher frère,
un titre habituellement réservé aux rois de la région et aux alliés
proches. Pour la toute première fois, ses officiels ont émis la
principale idée de Poutine : tout arrangement en Syrie devrait être
réalisé avec le président Bachar al-Assad. Veuillez vous souvenir que
seulement quelques jours auparavant, les Turcs adhéraient fermement au
mantra américain «Assad doit partir».
Maintenant, cette
importante barrière mentale est tombée : Erdogan et Poutine ont repris
leurs discussions sur le gazoduc Turk Stream, qui étaient gelées depuis
quelques mois. Les négociations n’ont pas abouti, mais il semble que les
choses ont commencé à bouger.
Israéliens et Palestiniens
Vladimir Poutine et Benjamin Netanyahou. Credit: Times of Israel
Pour
Israël, l’implication de la Russie signifiait que leur vieille liberté
de bombarder qui bon leur semble appartenait au passé, ou du moins
était restreinte. C’est une chose de bombarder des Syriens pratiquement
sans défense, comme les Israéliens l’ont fait une douzaine de fois l’an
dernier, et c’en est une toute différente d’envoyer des avions à
réaction dans le rayon d’action de la vision sans obstacles des radars
S-300 et des intercepteurs Su-27 avec des as russes dans les cabines de
pilotage. C’est pourquoi Netanyahou s’est rendu à Moscou la veille de
Yom Kippour.
Netanyahou est venu poser son propre ultimatum. Les
Russes et leurs alliés, Assad, l’Iran et le Hezbollah, doivent choisir
s’ils ont l’intention de sauver Bachar al-Assad ou de combattre Israël.
S’ils combattent Israël, Israël détruira Assad.
Poutine a déclaré
que les Russes n’avaient pas l’intention de combattre Israël. Assad est
en si piètre état qu’il ne peut pas combattre Israël. Rien que le sauver
est assez difficile puisqu’il contrôle seulement entre 20% à 30% du
territoire national, même si c’est la partie la plus peuplée de la
Syrie, alors que le reste du territoire est principalement du désert.
Netanyahou
a revendiqué sa liberté de bombarder les Iraniens et le Hezbollah
partout où cela lui convient. Il est toujours obsédé par l’Iran, puisque
les Iraniens, selon lui, réarment le Hezbollah, modernisent l’armement
de ce dernier et projettent d’ouvrir un second front contre Israël sur
les Hauteurs du Golan. Alors que les deux premières affirmations peuvent
être vraies, la troisième est pure invention.
Netanyahou est
inquiet que les armes Russes sophistiquées se retrouvent au Liban, et
cela limitera le droit divin d’Israël de bombarder le Liban. Les Russes
ne veulent pas non plus que leurs armes de dernière génération sortent
de Syrie, donc il n’y a pas de grand désaccord entre eux et les
Israéliens sur ce point. Cependant, alors que les Israéliens soutiennent
que de telles fuites se produisent, les Russes le nient avec véhémence.
Maintenant, et lors de leur rencontre précédente, le dirigeant
israélien a affirmé qu’il sait («Faites-moi confiance!») que
les armes russes les plus modernes se sont retrouvées au Liban alors que
Poutine a rejeté cette affirmation comme dénuée de preuves.
Il
semble que Netanyahou continue à chercher la bagarre. Le président
américain a refusé de satisfaire son désir innocent de détruire l’Iran
et a conclu un accord avec son pire ennemi. Pire même, comme nous
l’avons appris de son ancien ministre de la Défense Ehud Barak, les
généraux de Netanyahou se sont aussi rebellés contre les plans de Bibi
pour attaquer l’Iran. Mais Netanyahou ne renonce pas. Il cherche à
détruire l’Iran ou au moins le Hezbollah, la force combattante la plus
puissante dans la région.
Israël est beaucoup plus fort que le
Hezbollah, et il n’a aucune raison de craindre une attaque de ce
dernier. Si Israël n’attaque pas, personne n’attaque Israël. Mais cette
équation de type MAD[mutual assured destruction] n’est
pas acceptable pour Netanyahou: il cherche l’immunité et l’impunité
pour ses frappes. Le Hezbollah lui refuse cette impunité et peut exiger
un prix élevé pour une nouvelle campagne de bombardements.
Une hotline
A
la demande de Netanyahou, Les Russes et les Israéliens ont convenu
d’établir une ligne téléphonique permanente entre leurs armées dans le
but de réduire les risques d’une rencontre hostile entre elles. C’est
une pratique normale : une telle ligne téléphonique a fonctionné en 1974
entre l’Égypte et Israël en guerre pendant le cessez-le-feu, afin qu’un
échange local de tirs ne dégénère pas en une conflagration générale non
désirée.
Ce n’est pas une coopération, ni une planification
conjointe, ni une entente entre alliés. Seulement un dispositif pour
éviter des échanges de tirs indésirables. Et c’est une bonne chose.
Israël et la Russie ne peuvent être des alliés : ils poursuivent des
buts opposés et leurs alliés sont tout à fait différents. Israël s’est
liée d’amitié avec Jabhat al-Nusra, une branche syrienne de al-Qaïda, un
groupe sunnite extrémiste. Deux mille combattants de al-Nusra ont
bénéficié de traitements médicaux en Israël et sont repartis combattre
Assad. Israël est modérément hostile à Bachar al-Assad, a bombardé les
positions de l’armée syrienne et attaqué ses bases avec l’aide de
al-Nusra. Israël est implacablement hostile aux alliés de la Russie en
Syrie, l’Iran et le Hezbollah, et assez indifférente à Da’esh (ISIS/État
islamique). C’est pourquoi la discussion sur une alliance
russo-israélienne en Syrie n’est qu’une tentative de vous induire en
erreur.
Cependant, le président Poutine est très amical à l’égard
d’Israël et des juifs. Son amitié ne l’incitera pas à abandonner la
Syrie ni à rompre avec l’Iran, mais même le plus grand ami d’Israël sur
la planète, les États-Unis, est attentif à ses intérêts. En de
nombreuses occasions, Poutine a promis de sauver les juifs si les choses
se passaient vraiment mal pour eux. Il semble qu’il a à l’esprit une
évacuation massive des juifs israéliens en Russie, en dernier recours,
comme la Russie l’a fait pour les juifs polonais en 1939, sauvant ainsi
des millions d’entre eux de la furie nazie. Inutile de dire que nous
sommes très loin d’un tel scénario apocalyptique.
Il semble que
Poutine ait quelques amis personnels proches parmi les Russes en Israël,
car il souligne souvent que la communauté russe en Israël, forte de 1,5
millions de personnes (en fait, quelque 500 000 au plus) est le pont et
la garantie de leur amitié. Il a fait un cadeau généreux de quelque 5
milliards de roubles (90 millions de dollars) par an aux juifs russes en
Israël pour leur fonds de pension. (Les États-Unis donnent beaucoup
plus, mais surtout pour des armes, et l’argent va aux généraux
israéliens.)
Poutine a reçu chaleureusement Netanyahou, comme son
vieil ami. Donc c’est Netanyahou qui a signalé qu’il était fatigué des
États-Unis. Poutine n’a pas saisi la balle : il n’a pas cru que
Netanyahou était prêt à abandonner les États-Unis et à s’enfuir avec les
Russkis pour aller se cacher dans la grange. Mais tous les deux ont
vibré d’enthousiasme et d’amitié. Poutine a souhaité à Bibi d’être
inscrit dans le Livre de la vie, manifestant là une connaissance
inattendue des coutumes juives.
Poutine et les juifs
Poutine est si amical avec les juifs en Russie que le quotidien israélien Haaretz a écrit que les juifs russes n’avaient jamais rien connu d’aussi bon. Il autorise les hassidim Habad à
reconstruire leur communauté en Russie, puisque l’ancienne a été
désintégrée après son émigration de masse vers Israël et suite à
l’assimilation et aux mariages mixtes. Dans la seule ville de Moscou,
ils construisent trente synagogues (à comparer avec seulement deux
mosquées et environ trois mille églises), bien qu’il n’y ait que
quelques centaines de juifs pour fréquenter les synagogues dans tout
Moscou, au mieux.
Les familles hassidim Habad arrivent d’Israël,
des États-Unis et d’Europe, et on peut souvent les observer aux
alentours de la ville dans leurs vêtements traditionnels. Reste à voir
si elles projettent d’établir une nouvelle communauté juive ou
l’utiliser pour réaliser des affaires immobilières à long terme, comme
certaines personnes le prétendent. Dans pratiquement chaque ville russe
il y a une synagogue et un centre communautaire installés sur une
parcelle de terrain parmi les plus convoitées et chères, gérée par les
Habad, tandis que les communautés juives traditionnelles ont été
dépossédées par ces derniers et ont disparu.
Poutine est-il si
favorable aux juifs parce qu’il pense que c’est une bonne stratégie?
Peut-être. Même aujourd’hui, il est souvent décrit dans les médias
occidentaux comme un nouvel Hitler, et combien pire ce serait si les
juifs de Russie ou d’Israël le considéraient comme un ennemi. D’autre
part, il peut être sincère, puisqu’il a étudié le droit à l’université
de Saint-Pétersbourg et y avait de nombreux amis juifs. Il a aussi
travaillé avec le maire de Saint-Pétersbourg qui comptait de nombreux
juifs dans son entourage. Son choix des Habad n’est pas facile à
justifier, mais peut-être étaient-ils préparés à construire une vie
juive tout en restant à l’écart de la politique.
Maître de judo
Ses
bonnes relations avec Netanyahou ne lui causent aucun tort. Netanyahou
est encore un homme très puissant, capable de rassembler une majorité au
Sénat des États-Unis, et un allié de l’Arabie saoudite, l’homme fort du
monde arabe. Les méthodes de Poutine évitent la confrontation ; en
maître de judo, il ne s’affronte pas avec son adversaire, il exprime
rarement son désaccord. Donc il a été d’accord avec la proposition de
Netanyahou de mettre en place une ligne téléphonique d’urgence ou une
commission conjointe des armées. Je doute que cette commission soit
productive. Si Bibi prévient les Russes de l’attaque qu’il prévoit sur
les positions syriennes, l’attaque sera inefficace ; néanmoins, la
commission et la ligne téléphonique réduiront le danger d’une
confrontation inutile.
Presque immédiatement après sa réunion avec
Netanyahou, Poutine a aussi rencontré le président palestinien Mahmoud
Abbas. Cette rencontre a aussi été très amicale. Abbas lui a parlé des
troubles autour de la mosquée al-Aqsa à Jérusalem, où des religieux
juifs fanatiques causent des ravages et suscitent des affrontements. Il a
mentionné la confiscation de terres chrétiennes près de Beit Jalla et
d’autres nombreux problèmes, y compris la récente autorisation
israélienne de tirer sur des enfants palestiniens à balles réelles de
calibre 0.22. Abbas a encouragé Poutine à sauver la Syrie de la
désintégration et a écouté l’explication de Poutine sur les projets
russes. Il semble que Mahmoud Abbas ne se retirera pas et ne rendra pas
les clés de l’Autorité palestinienne lors de l’Assemblée générale de
l’ONU qui aura lieu dans quelques jours, comme certains observateurs
l’attendaient, bien que ce ne soit pas encore définitif.
Cette
double rencontre a amené la diplomatie russe à un nouveau sommet.
Jusqu’à maintenant, seuls les présidents américains étaient capables de
rencontrer à la fois les Israéliens et les Palestiniens de manière
amicale et d’étendre leur patronage. Maintenant, la Russie a atteint
cette position suprême et c’est certainement une grande réussite de
Poutine, justifiant déjà sa décision de s’engager en Syrie.
Par la suite, nous traiterons des discussions russo-américaines sur la crise syrienne et nous verrons ce qu’ils se sont dit. Israel Shamir
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