Par Jean-Claude Paye Mondialisation.ca, |
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La France représente à présent,
avec l’Espagne, le point le plus avancé de l’offensive des
gouvernements européens continentaux contre les libertés.
L’introduction, dans le code pénal, de la notion de “glorification du terrorisme”
lui permet d’accéder au même degré de déni du droit que son voisin
espagnol. En peu de temps, la France a quasiment rejoint le niveau
liberticide de la Grande Bretagne dans sa capacité légale de
criminaliser toute parole d’opposition. Il ne lui reste plus qu’à
introduire le délit de création, par ses déclarations ou ses écrits sur
un quelconque sujet, d’une atmosphère favorable au terrorisme[1], pour rejoindre le modèle anglais.
Une inflation de lois antiterroristes.
En moins de deux ans, la France a connu une inflation de lois antiterroristes. D’abord la Loi de programmation militaire, promulguée le 13 novembre 2014, dont nous avons rendu compte dans un précédent article[2], ensuite cette Loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme du 14 novembre 2014 et ensuite la Loi sur le renseignement[3] définitivement adoptée par l’Assemblée nationale le 24 juin 2015.
La loi de programmation
militaire fusionne droit pénal et droit de la guerre et confond ainsi
intérieur et extérieur de la nation. Elle instaure un état martial
numérique en autorisant le gouvernement à attaquer les systèmes
informatiques de ses ressortissants et à capturer, sur simple
demande administrative, les informations et documents des utilisateurs
et non plus seulement leurs données de connexion.
La loi sur le renseignement quant à elle installe des boites
noires chez les fournisseurs d’accès permettant d’enregistrer, en temps
réel, l’ensemble des données des utilisateurs.Elle met à la disposition de l’exécutif, un dispositif permanent, clandestin et quasiment illimité de surveillance des citoyens. Cette loi est le point le plus avancé le l’attaque du gouvernement français contre la vie privée. Le ministre de l’Intérieur Cazeneuve a d’ailleurs déclaré que celle-ci n’est pas une liberté fondamentale.
Quant
à la loi de novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la
lutte contre le terrorisme, elle participe également à la
criminalisation d’Internet et autorise le blocage administratif de sites
web. Sa spécificité consiste en une attaque frontale contre la liberté
d’expression par l’introduction dans le code pénal de nouvelles
d’incriminations, dont le traitement était jusqu’à présent réglée par le
droit de la presse.
S’attaquer au “parcours de radicalisation terroriste“
La loi n° 2014-1353, renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme,[4]
fut votée en procédure accélérée, c’est à dire que le texte n’a
effectué qu’un seul passage par assemblée. La loi est formellement
destinée à lutter contre l’embrigadement dans des « parcours de radicalisation terroristes ».
L’objectif affiché est d’empêcher les gens de rejoindre des zones de
combat et de se radicaliser sur Internet. Il part du principe que
l’embrigadement des apprentis terroristes se fait essentiellement sur le
Web. Ce dernier est ainsi particulièrement visé, car il est considéré
comme une zone de non-droit, rendue principalement responsable du
risque terroriste.
L’article L.224-1 instaure une
possibilité d’interdiction de sortie du territoire et de confiscation
des documents d’identité pour des personnes, sur lesquelles pèse un
soupçon « d’une volonté de rejoindre des théâtres de guerre ».
On part d’un motif extrêmement vague, l’hypothèse d’un départ sur un
champ de bataille, croisée avec une supposition de dangerosité au
retour, afin de restreindre la liberté de circulation d’individus, sur
lesquels ne pèsent que des soupçons « d’intention terroriste ». Grâce au croisement de données, cet article installe une logique de profilage, de « suivi » du « parcours de radicalisation ». Le numérique est privilégié comme moyen permettant de d’établir des suspicions ou « de sérieuses raisons de croire.»
L’incrimination d’ « apologie du terrorisme ».
L’article L. 421-2-5 de la loi punit « le fait de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire publiquement l’apologie de ces actes ».
Les peines sont aggravées lorsque les faits ont été commis en utilisant
un service de communication en ligne. Il établit que « l’apologie du terrorisme » est assimilable à du terrorisme.
Les délits « dapologie du terrorisme » et de « provocation à la commission dactes terroristes »
étaient encadrés par la loi sur la presse du 29 juillet 1881. Cette loi
concerne tous les délits relatifs à la liberté dexpression et ne porte
pas seulement sur les journaux. Elle a pour objet les injures, la
diffamation, les atteintes à la vie privée, les propos racistes ou
négationnistes…. y compris ceux commis par des particuliers contre
dautres particuliers. Remarquons que lapologie dautres crimes que le
terrorisme, comme les crimes de guerre et crimes contre lhumanité, reste
dans la loi sur la presse.[5]
En retirant l’apologie du
terrorisme du droit de la presse, pour l’insérer dans le code pénal au
sein de la définition du terrorisme, l’article établit une relation de
causalité directe entre un discours et des actes. Considérer qu’un
contenu, considéré comme « glorifiant le terrorisme », est du
terrorisme est ostentatoire à la liberté d’expression, car la frontière
entre opinion et apologie, information et propagande, est très floue.
Les spécificités du droit de la presse sont faites justement traiter ce
problème. Lemploi du terme apologie implique une condamnation
des opinions et non des actes. Or, le régime protecteur de la loi de
1881 vise précisément à éviter la pénalisation du délit dopinion.
Grâce à la nouvelle loi, des
journalistes ou citoyens pourraient être poursuivis, pour avoir, par
exemple, partagé une vidéo, mise en ligne par une organisation désignée
comme terroriste ou donné la parole à des membres de réseaux
politiquement diabolisés ? Depuis les attentats au journal
Charlie-Hebdo, les procédures pour “apologie du terrorisme”
se sont multipliées et une série de peines d’emprisonnement ont été
prononcées. Si l’apologie consiste à justifier le terrorisme, le
présenter sous un jour favorable ou l’encourager, en quoi l’exemple
d’une jeune fille de 14 ans, mise en examen pour apologie du terrorisme
pour avoir dit “on est les soeurs Kouachi, on va sortir les kalachnikov”, rencontre-elle cette incrimination?[6]
L’apologie du terrorisme étant entrée dans le droit commun, on peut
donc désormais la poursuivre en comparution immédiate, une procédure qui
restreint considérablement les droits de la défense et qui permet au
parquet d’ordonner l’incarcération immédiate.
L’incrimination « d’entreprise terroriste individuelle ».
Si le chanteur Renaud nous avait déjà appris que l’on pouvait former une « bande de jeunes à soi tout seul », cette loi, reprenant la notion étasunienne de « loup solitaire »,
établit qu’un individu isolé peu être considéré comme un membre d’une
organisation terroriste internationale et poursuivi comme tel. L’article
421-2-6 crée l’incrimination d’«entreprise terroriste individuelle
», afin de poursuivre des individus isolés selon les mêmes modalités
que des groupes terroristes organisés. L’article demande que les actes
d’un individu comprennent au moins deux infractions reprises sur une
liste, afin de déterminer qu’il a bien une volonté de passer à l’acte.
Parmi ces infractions, on relève la détention de substances dangereuses,
le recueil d’informations destinées à passer à l’acte, mais aussi
simplement la consultation de sites, considérés comme incitant au
terrorisme.
Ces conditions sont si « ouvertes
» qu’elles permettent à un grand nombre d’activistes, de citoyens,
désirant de s’informer par eux-mêmes des problèmes de radicalisation
politique ou terroristes, d’être poursuivis sur base de cet article.
C’est tout l’activisme qui est en passe d’être visé, avec un volet
numérique étendant de façon extrêmement large les possibilités
d’incrimination.
L’art. 421-2-6, combiné aux autres articles de la loi, confirme une
logique dans laquelle tous les citoyens sont suspects. Un nombre minimal
d’éléments de suspicion les classent parmi les terroristes potentiels.
Les individus doivent donc constamment se demander ce que veut le
pouvoir et ainsi adapter leur comportements, afin de ne pas être
inquiétés.
Blocage administratif des sites Internet.
L’article 6-1 permet aux
services de police de demander, aux fournisseurs d’accès internet, de
bloquer l’accès à certains sites, afin d’empêcher les internautes,
résidents en France, d’accéder à des contenus qui feraient l’apologie du
terrorisme. Techniquement, les techniques de blocage sont connues pour
être contournables très facilement par n’importe quel internaute sans
connaissances techniques particulières. Ces instruments sont, en
général, difficiles à mettre en oeuvre sans risque de sur-blocage. Pour
empêcher, de manière plus efficace, l’accès aux contenus sur le web, il
faut mettre en oeuvre des techniques de surveillance massive des
connexions de l’ensemble des internautes. Ce qui est l’objet de la
nouvelle Loi sur le renseignement[7]
qui installe des boites noires chez les fournisseurs d’accès,
enregistrant, en temps réel, la totalité des données de connexion.
Le blocage des sites ou des
contenus Internet est réalisé par la police, sans intervention préalable
d’un juge. Ainsi, toute procédure contradictoire est évitée et aucune
opposition ne peut contester la censure de l’administration. La loi
s’attaque aux intentions plutôt qu’aux actes. La liberté d’information :
consulter les sites internet désirés, la liberté de circulation :
quitter son pays sans que les autorités ne préjugent des intentions,
ainsi que la liberté d’expression sont remises en cause.
En visant Internet, le gouvernement vise tout citoyen voulant
s’informer et échapper aux injonctions de croire, promulguées par le
pouvoir. La loi affecte l’ensemble de la population. Elle ne contient
aucune disposition visant particulièrement le terrorisme. Cependant,
elle a un impact décisif sur l’échange de communications et
d’information sur Internet. Elle ne vise pas des personnes dangereuses,
mais des personnes qui liraient des documents considérés comme
potentiellement dangereux. Grâce au délit d’intention, les citoyens ne
seront plus capables de s’informer sur ce que le gouvernement aura
désigné comme « propagande terroriste ».[8]
Les individus doivent donc intérioriser le surmoi et anticiper le
regard du pouvoir sur leur vie privée. Afin de ne pas être
éventuellement poursuivis, ils doivent faire preuve d’initiative dans
l’autocontrôle de leurs comportements.Criminalisation de l’Internet.
Le ministre de l’Intérieur,
Bernard Cazeneuve a esquivé l’ensemble des questions posées, se
réfugiant dans des demi-vérités, notamment sur l’intervention du juge
administratif dans le processus de blocage, laissant penser que ce
dernier interviendrait systématiquement, alors que le texte de loi ne le
dit absolument pas. En effet, la loi ne prévoit que la supervision
procédurale d’un magistrat de l’ordre judiciaire, censé s’assurer de «la régularité des conditions d’établissement, de mise à jour, de communication et d’utilisation»
des sites dont l’accès est bloqué, sans qu’il ait pour autant de
pouvoir décisionnaire concernant l’opportunité du blocage opéré.
Le rapport du Conseil d’Etat sur le « Numérique et les droits fondamentaux », publié en septembre 2014,[9]
légitime également l’extra-judiciarisation des atteintes portées à la
liberté d’expression dans le droit français. En parlant des « troubles beaucoup plus grands
» à l’ordre public qu’induirait Internet, il tend à se situer dans la
tendance de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, qui considère
qu’Internet est un espace par essence dangereux, justifiant de plus
grandes restrictions de la liberté d’expression.[10]
Une censure automatisée.
Outre la réhabilitation d’un
pouvoir de police administrative, l’extra-judiciarisation, défendue par
le Conseil d’État, passe par la légitimation de la censure privée sur
Internet. Cette dernière s’est largement banalisée depuis dix ans, à
mesure que des dérives, jurisprudentielles et législatives, confiaient
aux hébergeurs, aux moteurs de recherche et autres réseaux sociaux, le
soin de réguler la liberté d’expression. Ainsi, le rapport indique « qu‘il ne serait pas réaliste de dénier aux acteurs privés le droit de décider du retrait dun contenu ».
À aucun moment, le Conseil d’Etat ne propose de préciser et de limiter la notion de contenu « manifestement illicite »,
crée par les juges constitutionnels afin de contrecarrer les risques de
censure privée, une notion rendue quasiment obsolète en raison d’une
inquiétante extension jurisprudentielle.[11]
Le Conseil d’État préfère
conforter les logiques actuelles qui confient, aux hébergeurs et autres
plateformes, la tâche de procéder à des déclarations dillicéité. L’autre
argument, avancé pour la défense de la censure privée, consiste à dire
que la justice ne disposerait pas de moyens suffisants pour traiter les
contentieux liés à Internet.
Le peu de regard du Conseil
d’État pour la liberté d’expression est confirmé par la lecture de la
proposition n° 28 du texte, qui appelle à la censure automatisée à
travers l’obligation, pour les hébergeurs et autres plateformes,
d’empêcher toute nouvelle publication de contenus déjà retirés, un
régime dit de « notice-and-staydown » qui ne peut être mis en oeuvre qu’au travers de filtres automatiques, « scannant » les communications Internet et faisant courir d’importants risques de sur-blocage,[12]comme le reconnaît d’ailleurs le rapport.
Jean-Claude Paye
[1]Jean-Claude Paye, “Le modèle anglais”, colloque “Pouvoirs exceptionnels et droits fondamentaux”, le 18 et 19 novembre 2007,Université de Caen, Faculté de droit, https://www.unicaen.fr/puc/images/crdf0606paye.pdf
[2]Jean-Claude Paye, « Loi de programmation militaire. La France est-elle en guerre contre les Français? », Mondialisation.ca, le 26 mars 2014, http://www.mondialisation.ca/loi-de-programmation-militaire-la-france-est-elle-en-guerre-contre-les-francais/5375348?print=1
[3]Assemblée Nationale, « Projet de loi relatif au renseignement », texte définitif, texte 542, adopté le 24 juin 2015, http://www.assemblee-nationale.fr/14/ta/ta0542.asp
[4]« Loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme » ,JO n° 263 du 14 novembre 2014, http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000029754374&categorieLien=id
[5]« Apologie du terrorisme : la loi Cazeneuve, avant-après », L’OBS Rue 89, le 22 janvier 2015, http://rue89.nouvelobs.com/2015/01/22/apologie-terrorisme-loi-cazeneuve-avant-apres-257256
[6]Celine Rastello, « Apologie du terrorisme : les juges vont-ils trop loin ? », L’OBS société ,le 21-01-2015 , http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20150120.OBS0379/apologie-du-terrorisme-les-juges-vont-ils-trop-loin.html
[7] Assemblée Nationale, « Projet de loi relatif au renseignement », texte définitif, texte 542, adopté le 24 juin 2015, http://www.assemblee-nationale.fr/14/ta/ta0542.asp
[8]« Loi Terrorisme : Sacrifier les libertés sous prétexte de lutte contre le terrorisme ? », La Quadrature du net., https://presumes-terroristes.fr/
[9]Conseil d’Etat, « Etude annuelle 2014 du Conseil d’Etat – Le numérique et les droits fondamentaux », La Documentation française, septembre 2014, p. 229, http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/144000541/index.shtml
[10]« L’Assemblée nationale ferme les yeux sur les dangers du projet de loi « Terrorisme », La Quadrature du Net,, le 8 sept. 2014 , https://www.laquadrature.net/fr/lassemblee-nationale-ferme-les-yeux-sur-les-dangers-du-projet-de-loi-terrorisme#footnoteref3_4ppnpih
[11]« La LCEN, le juge et lurgence dune réforme », le 27 avril 2013, Wethenet.eu ,http://www.wethenet.eu/2013/04/la-lcen-le-juge-et-lurgence-dune-reforme/
[12]« Surblocage », https://wiki.laquadrature.net/Surblocage
Jean-Claude Paye, sociologue, auteur de L’emprise de l’image. De Guantanamo à Tarnac, éditions Yves Michel 2012.
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Παρασκευή 18 Σεπτεμβρίου 2015
France – Rejet de la liberté d’expression et criminalisation du Net.
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