Mondialisation.ca, 14 février 2015
LHistoire se répète détrange manière. LArgentine a passé par un processus semblable aux années post-1999, après que Boris Eltsine a démissionné et que Vladimir Poutine a pris sa place au Kremlin en tant que président de la Fédération de Russie. Tandis quil luttait pour se libérer du joug de létranger, le gouvernement fédéral argentin a consolidé son pouvoir économique et politique.
Diverses fractions de lancien régime et des oligarques collaborant avec les Etats-Unis se sont toutefois opposés au nouveau pouvoir à Buenos Aires. Ces forces ont combattu de grands projets nationaux, la renationalisation de grandes compagnies et le renforcement de lExécutif du gouvernement. A cet égard, les confrontations de la présidente de lArgentine, Cristina Fernández de Kirchner, avec ses opposants sont similaires à celles qui ont opposé Vladimir Poutine aux oligarques et aux politiciens russes qui voulaient subordonner la Russie à Wall Street et Washington, ainsi quau capitalisme et aux centres financiers ouest-européens.
Toutes les occasions sont saisies pour affaiblir le gouvernement argentin. La présidente Fernández de Kirchner a même accusé publiquement ses opposants en Argentine de collaborer avec les Etats-Unis pour parvenir à un changement de régime. Lorsque Daesh et lISIS ont menacé de la tuer en 2014, elle a fait allusion à la menace comme étant Washington qui était lentité qui voulait la tuer et celui qui tire les ficelles derrière les brigades terroristes de Daesh en Syrie et en Irak. [1]
La mort dAlberto Nisman
Le dernier chapitre de la lutte du gouvernement argentin a commencé en janvier 2015. Le même jour que celui où Mohammed Allahdadi, le général de la Garde révolutionnaire iranienne, a été tué par Israël en Syrie, le 18 janvier, lancien procureur Alberto Nisman a été trouvé mort dune blessure de balle dans la tête dans la salle de bain de son appartement verrouillé. [2] Nisman avait enquêté pendant dix ans sur lattentat perpétré en 1994, contre les locaux appartenant à lAssociation culturelle israélite argentine (AMIA) . Il avait été chargé de cette tâche en 2003 par le président Nestor Kirchner, le défunt mari de lactuelle présidente de lArgentine.
Alberto Nisman
Quelques jours auparavant, le procureur avait proféré des accusations contre la présidente argentine Cristina Fernández de Kirchner et le ministre des Affaires étrangères Héctor Timerman, qui est lui-même juif. Selon le New York Times, Nisman «a formulé des accusations graves» [3], disant «que les responsables iraniens avaient planifié et financé lattentat; que le Hezbollah, lallié de lIran au Liban, lavait exécuté; et que la présidente de lArgentine, Cristina Fernández de Kirchner, et ses principaux collaborateurs avait conspiré pour couvrir limplication de lIran dans le cadre dun contrat de fourniture de pétrole iranien à lArgentine.»[4]
Le journaliste juif Damian Pachter, qui a fui lArgentine après la mort de Nisman, a remis de lhuile sur le feu depuis Israël. Il a même écrit un article pour Haaretz, largement cité mais mais pas étayé, qui polémique contre le gouvernement argentin. Larticle de Pachter fait apparaître lArgentine comme se mouvant dans lombre de lAllemagne nazie ou dun régime fasciste. Voici quelques-uns de ses commentaires:
« Je ne sais absolument pas quand je retournerai en Argentine. Je ne sais même pas si je le veux. Ce que je sais, cest que le pays où je suis né nest pas lendroit heureux sur lequel mes grands-parents juifs me racontaient des histoires.»
« LArgentine est devenue un endroit sombre dirigé par un système politique corrompu. Je nai toujours pas compris ce qui mest arrivé au cours des dernières 48 heures. Je navais jamais imaginé que mon retour en Israël ressemblerait à ça. »[5]
Avant daller plus loin, il convient dajouter quau cours de ses dix années denquête, Alberto Nisman na pas pu inculper lIran ou le Hezbollah. En outre, il a été révélé que Nisman a consulté fréquemment les Etats-Unis sur laffaire AMIA et quil a été accusé par Roland Noble, lancien chef de lOrganisation internationale de police criminelle (Interpol), dêtre un menteur sur nombre de ses accusations dans laffaire AMIA. [6]
La mort dAlberto Nisman a été attribuée à un suicide. Toutefois, le moment de la mort est très suspect. Il est mort à peine quelques heures avant la date prévue de son témoignage devant le Congrès argentin. Le gouvernement a déclaré que sa mort était un assassinat visant à atteindre le gouvernement. [7] Cette affirmation est correcte et a eu des répercussions, la mort dAlberto Nisman étant utilisée comme argument politique pour exiger la démission du gouvernement argentin.
La cinquième colonne en Argentine
The Guardian a publié un article le 27 janvier 2015, où il est affirmé que la mort dAlberto Nisman «fait suite à une longue lutte» entre le gouvernement argentin et la principale «agence de renseignement argentine qui est apparue en pleine lumière après la mort suspecte de Nisman, dont la présidente dénonce les espions voyous qui essaient de lébranler.» [8] Quelques points importants méritent dêtre relevés dans cet article:
- Les représentants du gouvernement ont désigné certains espions dont ils disent quils travaillaient avec Nisman et lui fournissaient des informations tirées découtes téléphoniques.
- Leur chef est Antonio Stiuso qui, jusquau mois dernier, était le directeur général des opérations et écoutait les opposants politiques de la présidente. Il a été congédié quand Fernández a découvert quil avait travaillé avec Nisman à monter un dossier contre elle. Il est soupçonné dêtre aux États-Unis.
- Dans son allocution télévisée quelle a prononcée assise en fauteuil roulant après un accident récent Fernández a également critiqué Diego Lagomarsino, accusé lundi davoir prêté illégalement une arme à feu à Nisman. [9]
Les points ci-dessus font référence au fait que la sécurité intérieure et les agents secrets argentins ont travaillé pour renverser leur propre gouvernement. En outre, Antonio Stiuso et Nisman travaillaient secrètement à monter un dossier afin déliminer Kirchner du pouvoir.
Une cinquième colonne existe en Argentine. Il convient de noter que certaines des personnes impliquées dans cette affaire sont des gens provenant de la période de la dictature militaire en Argentine, qui a collaboré étroitement avec les États-Unis. Cest ce qui pourrait expliquer pourquoi Antonio Stiuso est soupçonné davoir fui dans ce pays. En outre, cest la raison pour laquelle le gouvernement argentin a ouvert une enquête sur les activités de plusieurs agents de la police fédérale, qui surveillaient Nisman, et pourquoi il a décidé de remplacer le Secrétariat du renseignement (SI, anciennement Secrétariat dÉtat au renseignement, ou SIDE) par une nouvelle agence de renseignement. [10] «Cest pourquoi jai décidé de retirer les agents qui étaient en exercice avant lavènement de la démocratie», a déclaré Kirchner. [11
Parlant des réformes nécessaires, la présidente a déclaré : «Nous devons commencer à travailler à un projet de réforme du système de renseignements argentin, avec lobjectif de supprimer un système qui na pas servi les intérêts nationaux ». [12] Cristina Kirchner a révélé que le SI oeuvrait pour saper son gouvernement et pour annuler ce que lArgentine avait fait avec lIran. Le Buenos Aires Herald a écrit que la présidente Kirchner avait « affirmé que dès le moment où le protocole daccord avec lIran sur les attentats contre lAMIA a été signé, vous avez pu voir que le SI la bombardé.» [13]
AMIA est un prétexte et lArgentine est un front dans une guerre mondiale à multiples facettes
Laffaire de lAMIA a été politisée sur deux fronts. Lun est une lutte intérieure, lautre se déroule sur le plan des relations internationales. Un groupe doligarques argentins instrumentalise le cas de lAMIA pour reprendre le contrôle du pays, tandis que les Etats-Unis lutilisent comme un instrument de pression comme dans laffaire des fonds vautours contre lArgentine sur le gouvernement argentin et pour interférer dans les affaires intérieures du pays.
Les opinions sont survoltées en Argentine et les lignes se sont durcies. La mort dAlberto Nisman est utilisée par les opposants politiques pour diaboliser le gouvernement. Lopposition parle même de Nisman comme dun martyr tombé dans la lutte pour la démocratie et la liberté dans un pays dirigé par un régime de plus en plus autoritaire.
Les positions politiques en Argentine sur lattaque de lAMIA, et les enquêtes menées, reflètent quelque chose de beaucoup plus important. LIran nest pas la seule cible dans la polarisation autour du cas de lAMIA. Il ne sagit pas non plus de rechercher réellement la justice pour les victimes des bombes sur lAMIA. La Chine, la Russie, Cuba, le Brésil, le Venezuela, lEquateur, la Bolivie, et une série de pays indépendants, sont aussi des cibles dans ce qui est en réalité une bataille mondiale entre les Etats-Unis et une coalition de pays indépendants qui résistent à linfluence nord-américaine.
Les objectifs ultimes des Etats-Unis sont de regagner linfluence perdue sur lArgentine, de réorienter ses relations commerciales et contrôler sa politique étrangère. Cela comprend la fin des mesures prises par Buenos Aires pour reprendre aux Britanniques le contrôle sur les Malouines (les Falklands), une zone riche en énergie dans lAtlantique Sud.
En plus de la guerre pour les ressources incluant les réserves énergétiques, la guerre mondiale à multiples facettes menée par les Etats-Unis contre ses rivaux passe aussi par la préparation dun assaut sur lagriculture, qui se traduira par la déstabilisation des prix alimentaires et même la provocation de famines. A part ses réserves inexploitées de pétrole et de gaz naturel, lArgentine est une grande puissance agricole. Contrôler Buenos Aires serait utile aux États-Unis.
Mahdi Darius Nazemroaya
Article original: The Politicization of the AMIA Investigation: Pretext for Regime Change in Argentina?, publié le 9 février 2015.
Traduit par Diane pour Arrêt sur Info
NOTES
[1] Mahdi Darius Nazemroaya, «Eagles of Empire and economic terrorism: Are vulture funds instruments of US policy?» RT, October 24, 2014.
[2] Almudena Calatrava, «Supporters doubt Argentine prosecutor killed self», Associated Press, Janaury 20, 2015; Jonathan Watts, «Argentinian government moves to dissolve domestic intelligence agency», Guardian, January 27, 2015.
[3-4] Isabel Kershner, «Journalist Who Reported on Argentine Prosecutors Death Flees to Israel», New York Times, January 26, 2015.
[5] Damian Pachter, «Why I fled Argentina after breaking the story of Alberto Nismans death», Haaretz, January 25, 2015.
[6] «Ex Interpol head Roland Noble: What prosecutor Nisman says is false», Buenos Aires Herald, January 18, 2015.
[7-10] Jonathan Watts, Argentinian governments moves», op. cit.
[11-13] «CFK announces plan to dissolve SI intelligence service», Buenos Aires Herald, Janaury 26, 2015.
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