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Σάββατο 8 Οκτωβρίου 2011

UNE PAGE D’HISTOIRE Russie et Turquie


UNE PAGE D’HISTOIRE Russie et Turquie

Le Monde Diplomatique
On connait la fameuse boutade lancée, en 1839, par M. Bouténiev, ambassadeur du tsar à Constantinople : « La Russie n’a pas de milieu à prendre entre deux rôles, être le premier ami ou le premier ennemi de la Porte. » Le mot reste toujours vrai : à travers deux siècles, l’alternative s’est posée à chaque tournant de la grande politique internationale. Point n’est besoin de revenir sur i les nombreuses guerres dans lesquelles se sont affrontées, depuis les jours de Pierre le Grand, les valeureuses armées des deux pays voisins. Les
occasions où les cabinets de Saint-Pétersbourg et de Constantinople se sont retrouvés en amis fidèles et sincères, où la Russie pouvait abandonner avec confiance au sultan « les clés de la maison russe », ont été plutôt rares : elles méritent d’être évoquées.
La première se place à la fin du dix-huitième siècle, à l’époque de la campagne d’Égypte, lorsque la Turquie vint solliciter, sous l’emprise de la peur, l’aide russe contre la France révolutionnaire. Par le traité du 22 décembre 1798, Paul 1er et le sultan se garantissaient mutuellement (fait sans précédent) leurs possessions territoriales, et une escadre commandée par l’amiral Ouchakov venait stationner dans le Bosphore, en face du Sérail. « Il a fallu, écrivait le chancelier Bezborodko, l’apparition de monstres tels que les Français pour assister à un spectacle que je n’aurais jamais cru voir de mon vivant : une alliance avec la Porte et le passage de notre flotte par les Détroits. » Le deuxième épisode, beaucoup plus important pour l’histoire diplomatique, se situe sous le règne de Nicolas Ier. Ce souverain, qui a été le premier à désigner la Turquie comme « l’homme malade de l’Europe », qui a dit un jour à l’ambassadeur d’Autriche : « Je ne me mêle pas des affaires de l’Espagne ou du Portugal ; quant à la Turquie, c’est mon affaire à moi », avait conduit, au début de son règne, contre la Porte, une guerre victorieuse au cours de laquelle les canons de Navarin – russes, français et anglais – allaient saluer la naissance de la Grèce libre : le traité d’Andrinople (14 septembre 1829) garantissait les droits et les privilèges des principautés moldo-valaques, l’autonomie hellénique et le libre passage du Bosphore et des Dardanelles par les bâtiments russes.
L’éternelle question des Détroits, point névralgique de notre continent, comporte des solutions diverses. On peut y accorder la liberté de navigation aux navires de guerre de toutes les puissances : oit peut leur en interdire absolument le passage : on peut aussi l’ouvrir aux navires de certains pays et l’interdire à d’autres. On peut enfin, en envisageant la question sous un autre angle, donner à la Turquie seule le droit de fermer, d’ouvrir et de contrôler le passage des Détroits, ou au contraire installer au Bosphore et aux Dardanelles un régime international, à moins d’y établir une espèce de protectorat russe ou de substituer, tout simplement, la Russie à la Turquie. Le fond du problème réside naturellement dans les rapports russo-turcs. La Russie ne saurait admettre une fermeture complète des Détroits ni un contrôle absolu du passage par la Turquie. De son point de vue, la solution idéale serait celle qui fermerait l’accès des Détroits aux navires étrangers tout en le laissant ouvert pour les navires russes ou qui lui accorderait, pour le moins, une situation prépondérante à Constantinople.
La Russie avait obtenu à Andrinople la liberté du passage, mais non pas la fermeture des Détroits pour les escadres des autres puissances : c’est à ceci qu’allait viser désormais le vice-chancelier Nesselrode, conseiller attitré de Nicolas en matière diplomatique.
S’inspirant de ses idées, le tsar renonçait à toute velléité de conquête et faisait évacuer les principautés danubiennes par ses troupes, cinq ans avant la date prévue par le traité de paix, non sans avoir doté la Moldavie et la Valachie du « Statut organique », base du futur royaume de Roumanie.
Les résultats de cette politique, tout empreinte de modération et de désintéressement, ne se feront pas attendre. À la fin de l’année 1832 le sultan, se sentant menacé dans sa capitale même par le soulèvement de Mehmet Ali, pacha d’Égypte, sollicite l’aide du tsar, son ennemi d’hier, et l’obtient sans difficulté. Nesselrode écrit : « La grandeur de la Russie exige qu’elle parle la première en Europe, chaque fois qu’il s’agit des destins de l’Orient. » Une escadre russe, commandée par l’amiral Lazarev, fait son apparition devant Constantinople ; et l’avant-garde d’un petit corps expéditionnaire, placé sous les ordres du général Mouraviov, débarque sur les rives du Bosphore. Tout danger étant écarté, le sultan fait un pas de plus : il exprime son désir de consolider« les liens d’amitié avec l’empereur de Russie ». Nicolas saisit la balle au bond : sans tarder il charge son ami intime, le comte Orlov, d’une mission extraordinaire auprès de la Porte. Neveu du célèbre favori de la Grande Catherine, Alexis Orlov (futur délégué russe au congrès de Paris) n’est pas un diplomate de métier, mais il possède certains dons qui lui permettent de surclasser aisément les professionnels de la carrière : une magnifique prestance, des allures de grand seigneur, une intelligence souple et inventive, une arrogance qu’il sait faire alterner avec une simplicité et une rondeur bien slaves. En sept semaines cet homme « à la taille d’un Apollon et aux muscles d’un Hercule fait la conquête pacifique de Constantinople, éblouit la population par ses réceptions fastueuses, achète toutes les consciences et disparaît, comme un météore, après avoir signé, à Unkiar-Skélessy, en date du 8 juillet 1833, un traité d’amitié et d’alliance.
Ce traité constituait un succès diplomatique sans précédent : il proclamait comme principe de droit public la « prédominance exclusive de la Russie dans les affaires de l’empire ottoman ». Une clause secrète stipulait la fermeture de la mer Noire aux bâtiments de guerre étrangers. Quant au droit de passage des navires russes, il se trouvait tacitement admis par la situation, créée de facto : puisque la Russie se chargeait, seule, de la défense de la Turquie, le sultan devenait un simple « portier des Détroits » au service du tsar, et la mer Noire se transformait en un « lac russe ». Jamais encore la Russie n’avait affirmé son prestige à Constantinople d’une façon aussi éclatante, même pas à l’époque glorieuse de Catherine, où Roumiantzov faisait signer aux Turcs une paix à la romaine, sur les tambours, dans la steppe de Koutchouk-Kaïnardji.
Toutefois ce succès obtenu par la Russie était plus brillant que solide. Lorsqu’un nouveau soulèvement de Mehmet Ali (printemps 1839) permet à cet ambitieux d’étendre son pouvoir en Asie mineure, en Arabie, et jusqu’au golfe Persique, et lorsque l’Angleterre s’apprête à intervenir, la Russie, également menacée par l’établissement d’un empire arabe à Constantinople, s’aperçoit que ses moyens d’action sur le terrain éloigné de la Méditerranée sont limités, et reconnaît la nécessité de « suivre les indications que trace la géographie ». Nesselrode recherche un accord avec l’Angleterre, renonce au renouvellement du traité d’Unkiar-Skélessy ; les protocoles de juillet 1840 et de 1841 mettent fin aux privilèges russes et apportent une solution internationale au problème des Détroits, en reconnaissant leur fermeture comme un principe du droit public européen.
Au cours des générations suivantes, le gouvernement turc s’est placé successivement sous la protection de la France, de l’Angleterre, de l’Allemagne et des États-Unis. La flambée d’amitié entre le Kremlin et Kemal pacha, le régénérateur de la Turquie moderne, n’a été que de courte durée, et ce sont les Américains, et non pas les Russes, qui disposent aujourd’hui de bases sur les rives toujours contestées du Bosphore et des Dardanelles.
CONSTANTIN DE GRUNWALD


Πηγή: Le Monde Diplomatique

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